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Reconnaissance et l’exécution au Canada des jugements étrangers
Le 4 septembre dernier, dans la décision Yaiguaje c. Chevron Corporation , la Cour suprême du Canada s’est à nouveau penché sur la question de la reconnaissance et l’exécution au Canada des jugements rendus dans un autre pays.
Les deux questions débattues étaient à savoir si dans une action en reconnaissance et en exécution d’un jugement étranger, doit-il exister un lien réel et substantiel entre le défendeur ou le litige, d’une part, et l’Ontario, d’autre part, pour que la compétence soit établie, et si les tribunaux ontariens ont compétence à l’égard de Chevron Canada, une tierce partie au jugement dont on demande la reconnaissance et l’exécution?
Historique de la décision
Le litige a débuté en Équateur à Lago Agrio, région riche en pétrole. Depuis plus de 20 ans, les 47 demandeurs, représentant environ 30 000 villageois autochtones de l’Équateur, ont voulu faire reconnaître la responsabilité juridique de la compagnie Texaco (aujourd’hui fusionnée avec Chevron au États-Unis) pour la pollution environnementale que leur entreprise a créée au fil des années suite à l’exploitation de leurs activités. En effet, cette pollution serait la cause directe d’une perturbation de la qualité des vies et de l’avenir des personnes qui y vivent. En raison de ce préjudice subit, les demandeurs ont obtenu, en première instance, 8,6 milliards de dollars US à titre de dommages-intérêts environnementaux ainsi que 8,6 milliards de dollars US à titre de dommages-intérêts punitifs. Le recours a ensuite été porté devant la Cour de cassation qui n’a pas retenu les dommages-intérêts punitifs, mais qui a tout de même accordé aux demandeurs une réparation totale de 9,51 milliards de dollars US.
Puisque Chevron ne détenait pas de biens en Équateur et ne pouvait ainsi indemniser les demandeurs, ces derniers n’ont eu d’autres choix que d’intenter une action en reconnaissance et en exécution du jugement devant la Cour supérieure de l’Ontario, région où Chevron exploitait un établissement commercial par une de ses filiales, Chevron Canada. Le juge devait alors déterminer les conditions préalables pour établir la compétence du tribunal ontarien. Chevron avança que le critère du lien réel et substantiel, lorsqu’il est question de déterminer de la compétence d’un tribunal, devait s’appliquer autant sur un litige sur le fond qu’à l’égard d’une action en reconnaissance et en exécution d’un jugement d’un tribunal étranger. Les demandeurs, quant à eux, ont rétorqué que ce critère ne pouvait s’appliquer au tribunal d’exécution, qu’il n’était pas nécessaire d’examiner le lien entre « le litige dans le pays étranger et le tribunal canadien appelé à reconnaître et à exécuter le jugement étranger ».
Dispositif du jugement
Lorsqu’il est question de reconnaissance et d’exécution d’un jugement étranger, la seule question est de savoir si le tribunal étranger avait un lien réel et substantiel avec les parties ou l’objet du litige, ou que les fondements traditionnels de la compétence ont été respectés. Se rendant jusqu’au plus haut tribunal du Canada, soit la Cour suprême du Canada, le juge opta en faveur des demandeurs, leur donnant ainsi gain de cause.
Afin de mieux saisir la portée du «lien substantiel et réel», l’on retrouve dans l’affaire Club Resorts Ltd. c. Van Breda, décision citée par la cour suprême dans le présent litige, une liste des facteurs de rattachement créant une présomption qui autorisent une cour à se déclarer compétente à l’égard du litige, soit :
a) le défendeur a son domicile dans la province ou y réside;
b) le défendeur exploite une entreprise dans la province;
c) le délit a été commis dans la province;
d) un contrat lié au litige a été conclu dans la province;
En ce qui concerne Chevron Canada, il a été conclu que le tribunal ontarien avait compétence puisqu’un lien important existait entre Chevron et Chevron Canada considérant l’établissement physique, en briques et en mortier, situé en Ontario.
Ainsi, on peut lire dans un passage de la décision de la Cour suprême :
«La question de savoir si les tribunaux ontariens ont compétence à l’égard de Chevron Canada doit commencer et prendre fin avec la compétence traditionnelle fondée sur la présence. Lorsque la compétence découle de la présence du défendeur dans le ressort, point n’est besoin de se demander s’il existe un lien réel et substantiel. Pour prouver la compétence traditionnelle, fondée sur la présence, à l’égard d’une société défenderesse de l’extérieur de la province, il faut démontrer que cette défenderesse exploitait une entreprise dans le ressort au moment de l’action. Il s’agit là d’une question de fait: le tribunal doit se demander si cette société a une présence directe ou indirecte dans l’État du tribunal qui s’attribue compétence, et si elle se livre à des activités commerciales soutenues pendant un certain temps. En l’espèce, les conclusions de fait du juge saisi de la motion n’ont pas été contestées. Elles suffisent à établir la compétence fondée sur la présence. Chevron Canada possède un bureau en Ontario, où elle a reçu signification. Les activités commerciales qu’elle exerce dans ce bureau sont soutenues; ses représentants servent la clientèle dans cette province. Les tribunaux canadiens ont conclu à l’existence de la compétence dans une telle situation. L’analyse du juge saisi de la motion était juste, et la Cour d’appel de l’Ontario n’avait pas à examiner d’autres considérations que celles qui précèdent pour conclure à la compétence des tribunaux ontariens.»
Conclusion
En somme, une fois le critère du lien réel et substantiel démontrer, assurant ainsi la compétence du tribunal étranger à l’origine du jugement, le tribunal d’exécution pourra alors prêter assistance aux demandeurs étrangers en leur donnant accès aux mécanismes d’exécution internes.
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